L’évangile, ça marche ! En politique aussi.

Frigide Barjot n’est pas un personnage univoque. Chrétienne convaincue, militante acharnée, elle se dit politiquement modérée. Mais pas modérément chrétienne. Catholique et républicaine, ça existe*.
David Victoroff

« Le bon Dieu lui est tombé dessus » m’avait-on dit de Frigide Barjot pour m’inciter à aller la voir pour Traces. Aussi est-ce avec une vive curiosité que je me suis rendu chez elle. Certes, j’avais entendu parler de l’ex-égérie de la Manif pour Tous, devenue présidente de l’Avenir pour Tous. Je l’avais vu enflammer sur le Champ de Mars une multitude venue de la France entière pour clamer la célébration de la personne humaine et s’élever contre la loi sur le prétendu « mariage pour tous » qui lui fait perdre ses racines. Je savais vaguement que, depuis ce triomphe, elle avait été évincée de la tête du mouvement pour de sombres motifs auxquels je n’avais guère prêté attention. Je n’avais pas vraiment suivi ces péripéties, aussi dérisoires, me semblait-il, que le pseudo dont elle était affligée, pour, expliquera-t-elle, « moquer le relatif qui s’absolutise et dégonfler les baudruches de la vanité du monde ».

Qu’allais-je donc apprendre en entrant dans sa demeure ? La maison du bonheur est-il écrit sur le paillasson, et, pour éviter au visiteur toute erreur, une couronne est accrochée sur la porte entourant l’alpha et l’oméga. Ne sommes-nous pas plus proches du carême que de Noël ? Frigide, ou devrais-je dire Virginie puisque c’est son vrai prénom, m’accueille chaleureusement. L’appartement est encore encombré de cartons non déballés : c’est son nouveau logis mais aussi la permanence de son mouvement, « l’Avenir pour tous ». S’y affairent deux militants jovials et un gros chat bien sympathique. L’entretien se déroulera au pied d’une statue de la Vierge presque grandeur nature.

Ce qui frappe d’abord chez Virginie c’est la force de ses convictions. D’emblée elle expose les fondements de sa croisade. Pour elle, les manifs de 2013 ont marqué le réveil des Chrétiens en politique. Son combat, c’est la défense de l’humanité et de l’humain. Jusqu’à présent, la loi suivait la généalogie naturelle. Elle a été changée pour ouvrir la voie à une procréation, déconnectée de la sexualité depuis la contraception, qui désormais efface délibérément les origines biologiques de l’enfant. Elle ne peut tolérer ce mensonge à l’ordre naturel. C’est la porte ouverte au marché de la reproduction humaine, et l’avènement d’une humanité industrielle. Désormais les hommes – indépendamment de toute référence à l’homosexualité, me précise-t-elle –, sont ravalés au rang d’espèces animales ou végétales qui s’échangent ou se jettent en fonction de l’évolution des cours. Tous les croyants et les personnes de bonne volonté, sont affectés par cette évolution qui conduit à une « esclavagisation » des êtres humains. Et, comble d’ironie, ce sont les socialistes qui, avec leur prétention de libérer l’homme, veulent institutionnaliser ce nouvel esclavage et établir cet ordre « libéral » ! Virginie alias Frigide Barjot, veut, avec « l’Avenir pour tous », tenter de rassembler à nouveau les chrétiens, avec tous ceux qui ont conscience de la dignité humaine, pour lutter contre ces funestes prétentions. Dans le respect absolu des lois de la République. C’est à dire, pour réussir à sauver la filiation biologique, sans abroger ce qui n’a pas à l’être, l’union homosexuelle instituée par la loi Taubira.

Comment Virginie en est-elle arrivée à cette force de conviction ? En rencontrant le Christ, répond-elle sans l’ombre d’une hésitation. Grâce à Lui, elle sait que nous ne sommes pas le fruit du hasard et de la nécessité mais que quelqu’un nous a fait par amour. Reconnaître cela, ça change tout ! Le christianisme est la seule religion où Dieu vient au cœur de nous-mêmes. Comment échapper à cette réalité qui pousse à répandre l’amour autour de soi ?

D’éducation catholique, Virginie n’est cependant venue à la foi que tardivement. Ce fut, comme elle le dit, un moment de maturation de son existence, qui coïncide avec la rencontre de son mari Basile de Koch (encore un pseudo étrange), sa préparation au mariage avec un prêtre plutôt traditionnel, la messe du mariage, enfin la naissance de ses deux enfants qui l’a bouleversée avec une puissance incroyable. « Un enfant vous décentre de vous en sortant de votre corps », explique-t-elle avec enthousiasme « après on ne peut plus voir le monde de la même façon ! ».

Sa conversion a transformé cette « ouvrière de la politique » comme elle se définit. Ayant beaucoup profité de la vie, de son tourbillon et de l’amour des gens, elle voulait maintenant leur dire le cadeau d’amour de Dieu à l’humanité, de Dieu qui s’est donné lui-même jusqu’à mourir sur la Croix. En politique cela se traduit par la possibilité d’oser dire que l’on est chrétien, sans pour autant imposer le dogme, ni se contenter du confort de vivre entre catholiques. Sa conversion conjuguée avec son tempérament de militante la pousse à la recherche de l’absolu sans pour autant nier la réalité du monde. Elle affirme que le compromis qui permet de vivre ensemble ne saurait faire disparaître le fondement universel de ses convictions chrétiennes. « C’est cela, dit-elle, le génie du christianisme ! », sans pour autant trahir la pensée profonde de Chateaubriand.

Son combat, désormais, sera contre cette marchandisation de la personne en devenir ou en partance, dans les lois préparées par Taubira et consorts. « Je soutiens l’union homosexuelle, qui existe, mais sans changer la filiation. Compte tenu de la société agnostique qui est la nôtre, c’est paradoxalement le rempart à un monde où la procréation est désormais ‘hors sexe’, ce qui est une manipulation contre l’esprit ».

Interrogée sur la manière dont elle a vécu les derniers événements de janvier en France, elle estime que c’est une guerre contre Dieu qui a été engagée par le pouvoir et que le terrorisme des islamistes est « une recherche éperdue de remettre du sens dans leur vie », qui est absurde puisqu’elle conduit à la mort. Ainsi pour elle, la dernière couverture de Charlie Hebdo n’a fait qu’ajouter le blasphème au meurtre. « La liberté suprême de l’homme est de se projeter vers Dieu », affirme-t-elle. Y porter atteinte peut conduire, chez ceux qui n’ont même pas accès à l’enrichissement immédiat du monde, à cette folie meurtrière qu’elle ne justifie en aucune manière.

Plus généralement, son analyse de la situation politique actuelle l’amène à constater une dynamique vers les extrêmes, comme en témoigne la montée du Front national. La faiblesse ontologique des partis de droite, maintenant qu’ils sont inféodés au Marché, conduit à une radicalisation pour le plus grand bénéfice de François Hollande et de ses lois « libertariennes ». Les modérés de convictions humanistes sont éradiqués de l’espace politique et les chrétiens démocrates ont disparu. Pour elle, l’intransigeance de ceux qui réclament l’abrogation immédiate de la loi Taubira et leur refus de substituer une union civile homosexuelle égale ne peut conduire qu’au maintien du mariage procréatif ouvert aux couples homosexuels, puis à la légalisation hors couple de la procréation, pour toute personne.

Alors que faire ? Comment sortir de cette situation en apparence sans espoir ? La solution, pour Virginie-Frigide, c’est cette idée collective de « l’Avenir pour tous », le mouvement qu’elle a fondé. Face au scepticisme qui se lit sans doute sur mon visage, elle reprend : « Mais enfin David, l’Evangile, ça marche ! Cela marche politiquement si ça se met en place « poléthiquement ». Il faut rester fixé sur l’Humain, et ne pas vouloir faire l’ange, car on en fait un loup pour lui-même ! Nous avons vécu cette réussite de l’Humain aimant le 13 janvier 2013, encore faut-il donner la parole à ceux qui peuvent en témoigner. » On peut dire aussi que la manif du 15 janvier 2015 participe de cet éveil des consciences de réhabilitation de l’Homme créé à l’image de Dieu.

L’espérance est donc toujours bien là.


« Qui suis-je pour juger ? » Confessions d’une catho républicaine, Salvator, 19 €
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