Jean-François Thiry

Rencontre avec Jean-François Thiry

C’est sous le signe de la transmission qu’Iter, le centre culturel de CL en France, a placé ses conférences 2015-2016. Pour commencer, il accueillait Jean-François Thiry, le jeudi 3 décembre.
David Victoroff

Iter continue son exploration de la Russie et de « l’étranger proche » : Constantin Sigov nous a parlé l’an dernier de l’Ukraine, son pays ; Nicolas Dujin, historien spécialiste de la Russie, nous a fait profiter de son expérience pour mieux comprendre Poutine et sa révolution nationaliste. Le jeudi 3 décembre, Marie-Michèle Poncet invitait Jean-François Thiry.

De nationalité belge, Jean-François Thiry, après des études de langue en Russie, a enseigné en Sibérie. Tombé amoureux du pays, il anime à Moscou, depuis une quinzaine d’années, le centre culturel « La Porte Poprovski ». Créé sous le double patronage de l’Eglise catholique et de l’Eglise orthodoxe, ce centre veut soutenir la vie de l’Eglise en Russie. Il s’agit moins de défendre des valeurs que de proposer une expérience.

Défendre des valeurs, explique Jean-François Thiry, c’est risquer de s’appuyer sur l’ordre établi, tentation permanente de l’Eglise, particulièrement en Russie. La pensée contemporaine est contre l’Eglise, qu’elle considère comme trop théiste et dogmatique. Vatican II a rompu avec l’Eglise constantinienne, proche du pouvoir ; en mettant l’accent sur l’évangélisation, le rôle des laïcs, l’attention aux pauvres, l’Eglise redevient apostolique. Or c’est en s’appuyant sur la raison et la nature humaine, c’est en rejoignant le réel, que l’on peut amener son prochain à rencontrer Dieu, comme André a fait rencontrer Jésus à son frère Simon.

Le centre culturel se veut lieu d’accueil, de rencontre et de dialogue, pour tous ceux qui sont en recherche, et en quête d’un bonheur différent de celui que proposent les nouvelles idoles de la Russie contemporaine : soif de richesses ou nostalgie d’un pouvoir sauveur. Ce qui implique une ouverture à 360°, ouverture non seulement aux Orthodoxes mais aussi à ceux qui n’ont pas encore la foi ou qui se situent en dehors de toutes confessions. « Nous voulions faire sortir les discussions, des cuisines où le régime soviétique les avait confinées, vers un nouvel espace public », expliquait Jean-François Thiry en février 2013 (lecourrierderussie.com).

On discute donc de tout, au centre « La Porte Poprovski ». On y trouve une librairie, un bar - qui le fait vivre depuis qu’il ne peut plus recevoir d’aide de l’étranger - et, surtout, un lieu de débats et de manifestations culturelles (colloques, expositions, représentations théâtrales…). Chaque année, plus de 200 événements y sont organisés et attirent plus de 10 000 visiteurs.

Comment expliquer un tel succès dans un pays où le fait de déployer une activité culturelle semble difficile et même risqué ? Jean-François Thiry l’attribue en partie à la gratuité de sa démarche. « Vous ne demandez rien en échange », lui aurait dit un de ses interlocuteurs de l’Université orthodoxe de Saint-Tikhon. C’est par cette gratuité, c’est en allant vers le désir des autres, que l’intelligence de la foi devient intelligence de la réalité.

Le centre culturel « La Porte Poprosvki » peut-il changer une Russie ravagée par 70 années d’une dictature communiste qui s’est efforcée d’éradiquer la culture chrétienne ? Jean-François Thiry s’inquiète quand il constate que le désir de liberté s’est perdu en Russie ; et il est bien conscient que les efforts qu’il déploie sont minces par rapport à l’immensité du pays. « Mais, dit-il, il y aura du changement si moi, je change ; et, à partir de là, tout peut changer ».

Belle leçon pour notre centre Iter qui, lui aussi, est bien petit dans cette grande capitale largement déchristianisée.

Prochaine rencontre le jeudi 14 janvier 2016, avec Sabine Laplane, auteur d’une biographie du Frère Roger, publiée à l’occasion du dixième anniversaire de sa mort.