Don Giussani

Don Giussani et la source du désir humain

Deux rencontres, à Milan et à Rome, avec René Roux, recteur de la Faculté de Théologie de Lugano, pour présenter le recueil des conférences du Congrès suisse sur la pensée du fondateur de CL, qui s’est tenu en 2018
Giorgio Paximadi*

Le 23 janvier à la Bibliothèque Ambrosienne de Milan et le 6 février à l’Université Pontificale du Latran à Rome, le professeur René Roux, recteur de la Faculté de Théologie de Lugano, présentera le livre intitulé Luigi Giussani. Il percorso teologico e l’apertura ecumenica (Luigi Giussani. Le parcours théologique et l’ouverture œcuménique), qui rassemble non seulement les contributions au Congrès international qui a eu lieu à Lugano en 2017, mais également d’autres interventions scientifiques destinées à illustrer des aspects de la pensée giussanienne, qui n’avaient pas trouvé place à cette occasion-là. Seront présents d’autres représentants du monde académique et intellectuel (monseigneur Francesco Braschi, docteur de la Bibliothèque Ambrosienne ; Patrick Valdini, professeur émérite de l’Université Pontificale du Latran ; Franco Manzi, professeur à la Faculté de théologie de l’Italie septentrionale et directeur des études du Séminaire de Venegono, ainsi que le directeur des éditions Eupress-FTL Antonio Tombolini et le journaliste Pigi Colognesi).

À Milan, les organisateurs ont voulu intituler l’événement : « Une pensée jaillissant de la source », mots prononcés par le cardinal Angelo Scola qui n’a jamais caché qu’il était un élève et un disciple de don Giussani. Il me semble en effet que cette définition saisit en plein, de manière synthétique, la caractéristique principale de la pensée de don Giussani. De fait, son œuvre n’est pas théologique au sens strict du terme : le texte conceptuellement le plus élaboré, le « ParCours » ne se présente pas comme une œuvre scientifique à proprement parler, mais naît de la préoccupation éducative qui a toujours caractérisé don Giussani. Comme chacun sait, il avait abandonné une carrière académique qui s’annonçait intéressante, pour se consacrer à l’enseignement de la religion catholique dans les lycées milanais. Il était préoccupé par le formalisme et le manque de lien avec l’expérience humaine, qui marquaient une bonne partie de la pratique chrétienne, à une époque où l’Église, en particulier l’Église ambrosienne, se considérait en termes un peu triomphalistes comme une societas perfecta, destinée à informer le monde.

Face à ses élèves, don Giussani n’a jamais été poussé par des élans prosélytes ou apologétiques, bien que l’influence de la littérature apologétique tellement à la mode – même si elle l’était sans doute moins au séminaire de Venegono – soit évidente dans ses écrits. Il a toujours désiré rencontrer ses étudiants sur le plan de l’humanité et de ce « sens religieux » qui caractérise si fortement son œuvre. Rappelons toutefois que cette expression n’est pas de don Giussani mais du cardinal Montini.

C’est ce désir qui l’a poussé à présenter le christianisme, en termes d’« événement » et de « rencontre », comme le souligne bien Ezio Prato dans son intervention, mais peut-être surtout en termes d’« expérience », mot qui avait alors un dangereux parfum de modernisme et qui, dans certains milieux, aujourd’hui encore, a des relents sulfureux. « Pensée jaillissant de la source » donc, dans le sens d’une pensée qui veut aller aux sources de la question et du désir humain pour y découvrir l’ouverture naturelle à la révélation du mystère de Dieu qui trouve sa réponse dans le Christ et dans l’Église.

L’ouvrage, qui est soumis à l’opinion publique lors de ces rencontres, s’adresse avant tout à la communauté scientifique et il a l’ambition d’être un texte ground braking – comme on dit en utilisant un anglicisme qui peut être utile –, c’est-à-dire non seulement innovant parce qu’il formule en termes nouveaux une perspective connue, mais, de manière bien plus audacieuse, parce qu’il veut montrer un nouveau thème de recherche en pénétrant dans des territoires ignorés jusqu’ici, du moins par la réflexion théologique proprement dite. Il est clair que l’on peut faire de nombreuses critiques à une opération pionnière de ce genre (et c’est tant mieux) mais il faut souligner que, du congrès de Lugano et surtout de l’ouvrage qui est présenté, peuvent dériver, comme c’est déjà le cas, de nombreuses occasions de recherches et de publications ultérieures.

Chacune des sections qui constituent cet ouvrage, offre en effet de nombreuses pistes pour approfondir la recherche : depuis la reconstruction historique qui suscite une grande curiosité et le désir d’en savoir davantage sur une période stimulante de l’histoire de l’Église, caractérisée par la présence de grands penseurs, jusqu’à la question passionnante du rapport de don Giussani avec les théologiens de son temps et des derniers siècles de la pensée chrétienne. Dans son intervention, Onorato Grassi a montré que la relation entre don Giussani et le cardinal Newman devait être étudiée ultérieurement. Et l’on peut dire la même chose pour de nombreux autres auteurs. Actuellement, la recherche est, certes, rendue plus difficile puisque les archives ne sont que partiellement accessibles en raison du procès en canonisation qui est en cours ; mais, même en se limitant à ce qui a été publié ou à ce qui est tombé dans le domaine public, on se trouve face à une mine de textes encore inexplorés de manière critique.

Il reste à souhaiter que cet ouvrage ne soit pas considéré simplement comme les « Actes du Congrès », comme il y en a tant qui encombrent les rayons de nos bibliothèques ; mais que, mieux connu et soumis à l’attention de la communauté scientifique grâce aux institutions prestigieuses qui hébergent ces présentations, il suscite un intérêt renouvelé pour une « pensée jaillissant de la source », la pensée de quelqu’un qui doit sans doute être placé parmi les protagonistes du christianisme du XXe siècle. Et qu’il suscite, chez beaucoup de chercheurs, le désir de l’approfondir de manière scientifique et critique pour en découvrir toute la richesse et l’actualité.


*Professeur ordinaire d’exégèse de l’Ancien Testament à la Faculté de Théologie de Lugano, et l’un des auteurs de l’ouvrage.