Jérusalem

Meeting. Le saint, le sultan et nous

Une exposition présentée à Rimini illustre la rencontre entre François d’Assise et le sultan al-Malik al-Kamil, survenue il y a 800 ans. Que se passa-t-il alors ? Quel est l’héritage de cet élan missionnaire ? Et qui le vit aujourd’hui ?
Luca Fiore

Damiette, Égypte, en l’an de grâce 1219. Frère François rencontre le sultan al-Malik al Kamil. Un anniversaire qui serait passé en sourdine si, au cours des derniers mois, un pape qui porte justement le nom du saint d’Assise n’avait pas été aux Émirats arabes unis, d’abord, puis au Maroc. Par conséquent, l’image du frère sans défense qui rencontre personnellement le sultan a été plus d’une fois évoquée comme référence idéale non seulement de l’approche diplomatique du pape argentin, mais aussi de la présence des chrétiens dans des pays majoritairement musulmans.

Mais au-delà des discours idéaux, que s’est-il passé ce jour-là à Damiette ? Qu’est-ce qui relève de l’histoire et qui appartient à la légende hagiographique ? Et aujourd’hui, que reste-t-il de cet élan missionnaire ? C’est à ces questions que veut répondre l’exposition « François et le sultan 1219-2019 » présentée par le Meeting de Rimini, la Custodie de la Terre sainte et l’ONG Pro Terra Sancta (ATS), qui s’annonce comme une des manifestations parmi les plus importantes de la kermesse de cette année et qui montre le poids que peut avoir dans l’histoire un dialogue toujours possible, même quand on ne s’y attend pas.

Giotto, ''François rencontre le Sultan'' (Assise, Basilique Saint-François)

« Notre intention était de faire de l’ordre dans les sources écrites et iconographiques qui mentionnent la rencontre de Damiette », explique Maria Pia Alberzoni, professeur ordinaire d’histoire médiévale à l’Université catholique de Milan, curatrice de l’exposition. « Pour moi, ce fut une surprise de découvrir les documents qui manifestent la singularité du personnage d’al-Kamil qui, contrairement à ce à quoi François s’attendait probablement, non seulement écoute le saint, mais le laisse repartir sain et sauf ». L’épisode est difficile à reconstituer dans les détails parce que, à l’époque, il pouvait apparaître secondaire face à la geste héroïque des rois et des chevaliers engagés dans la croisade. Pourtant, continue Alberzoni, les chroniques contemporaines de l’événement en parlent : c’est le cas des récits de Jacques de Vitry, évêque d’Acre, après la cinquième croisade, et de la chronique d’Ernoul, écrite elle aussi à Damiette. Ce sont des écrits très antérieurs aux sources franciscaines, en particulier la Legenda major, l'hagiographie officielle écrite par saint Bonaventure entre 1260 et 1263. Jacques de Vitry, en particulier, conclut son récit avec les mots que le sultan, même s’il n’a pas accueilli la prédication, aurait adressés à François en le laissant partir : « Prie pour moi afin que Dieu daigne me faire connaître la loi et la foi qui ont sa préférence ».

La chronique dite de Bernard le Trésorier, écrite entre 1220 et 1230, raconte qu’al-Kamil, refusant de suivre l’avis de ses conseillers, se serait adressé à François et à son compagnon en disant : « Que jamais je ne sois celui qui aurait condamné à mort ceux qui sont venus pour ma vie ». Noblesse d’âme ? Sans doute, mais pas seulement. « Le sultan, à ce moment-là, a intérêt à de bonnes relations avec le monde chrétien », explique Maria Pia Alberzoni : « Ce n’est pas un hasard s’il signera avec Frédéric II l’accord qui permettra aux pèlerins d’accéder aux Lieux saints entre 1229 et 1239. Cet accord provoqua l’excommunication de Frédéric. Sa faute ? Avoir négocié au lieu de se battre ».

Mais quel est l’héritage de cette rencontre qui, du point de vue du prosélytisme, fut clairement un échec ? François donne à ses frères des indications précises dans une version de sa Règle (la Regola non bollata) écrite de sa main deux sans seulement après la rencontre avec le sultan : « Les frères qui vont chez les infidèles peuvent envisager leur rôle spirituel de deux manières : ou bien ne faire ni procès ni disputes, être soumis à toute créature humaine à cause de Dieu et confesser simplement qu’ils sont chrétiens. Ou bien, s’ils voient que telle est la volonté de Dieu, annoncer la Parole de Dieu pour qu’ils se convertissent. » (RnB, cap.11. n.43). » Depuis lors, dit le père Francesco Patton, Custode de la Terre sainte, les franciscains s’inspirent de ces paroles pour leur présence au Moyen-Orient.

La dernière partie de l’exposition illustre les relations actuelles entre les fils de saint François et la société musulmane. « Nous nous sommes concentrés sur trois exemples, dit Andrea Avveduto d’ATS : « La réalité de la présence franciscaine en Égypte, où l’Évangile est manifesté à travers les œuvres de charité destinées avant tout aux musulmans. Puis Béthanie, où la restauration des mosaïques de l’église de saint Lazare a été confiée à des maîtres artisans musulmans ».

Le troisième exemple vient de la Syrie : « Intitulé ‘Un nom, un futur’, ce projet est né de l’amitié entre Mgr Georges Abu Khazen, vicaire apostolique d’Alep, et Mahmoud Akam, mufti de cette cité martyre, qui enverra à Rimini un enregistrement vidéo. C’est la tentative d’aider plus de 2000 enfants nés des viols et des abus commis par les combattants de Daesh, des enfants qui ne bénéficient d’aucun soutien de la part de l’État syrien. »