« Dans mon livre, la douleur que j'ai rencontrée »
Le pape avait cité son « Fratellino », consacré au drame des migrants. Amets Arzallus Antia a participé au New York Encounter, il y a quelques jours. Nous l’avons interviewé« Je recommande un livre, Hermanito, c’est-à-dire Petit frère. Il nous fait comprendre ce qu’est la traversée du désert, le trafic des migrants, la prison, les tortures, le voyage en mer ». Ce n’est pas souvent que le pape François suggère une lecture. Ce fut le cas, à Malte en 2022 au cours d’une conversation avec les jésuites, lorsqu’il a conseillé le livre d’Amets Arzallus Antia, publié en italien par Feltrinelli l’année précédente (la première édition en basque date de 2019, ndr). C’est le récit de l’odyssée d’Ibrahima, homme originaire de Guinée qui part à la recherche de son plus jeune frère, parti pour l’Europe, et qui n’est jamais arrivé. Une histoire vraie dans laquelle l’auteur s’est retrouvé impliqué presque par hasard. Le livre s’achève avec une poésie bouleversante : « Je le sais maintenant, la mer n’est pas un lieu où s’asseoir./ Et toi, si souvent évoqué,/ tu te demanderas qui tu es./ Tu es peut-être le policier/ qui est en train de décider de ma demande d’asile/ derrière le bureau d’une préfecture./ Tu sauras quoi faire avec moi. […] O simplement/ tu es toi/ celui qui lit cette poésie./ Tu te demanderas/ quel tu je suis moi ?/ Oui,/ si tu le veux,/ ce tu c’est toi,/ mais pas moi,/ moi, je suis Ibrahima,/ et cette vie c’est la mienne ».
Antia est un poète ; un bertsolari pour être précis. Le bertsolarisme est un type de littérature orale traditionnelle du Pays basque, où les conteurs, les bertsolaris, chantent en basque des vers improvisés, en rime et selon un critère précis. Pendant un temps, il a été journaliste pour abandonner par la suite et se consacrer entièrement à la poésie. Il était présent au dernier New York Encounter, où il est intervenu avec Tawakkol Karman, Prix Nobel de la paix 2011, sur le thème de l’encyclique de 2020, Fratelli Tutti. « Lorsque mon éditeur m’a appelé pour me dire que le pape avait conseillé mon livre, je croyais que c’était une blague. Puis, j’ai entendu ses paroles et, mêlée à la surprise, il y a eu une immense gratitude ».
Comment est né Fratellino ?
Je faisais partie d’un groupe de volontaires au pays basque qui aidaient les migrants pour les aspects administratifs et les informations. Ma ville est dans la partie française. Le pays basque est le croisement de nombreux migrants qui vont vers le Nord, vers la France.
C’est ainsi que tu as rencontré Ibrahima ?
Oui, il y a six ans. Il essayait de comprendre comment planifier sa vie et devait faire une demande d’asile. Pour cela, il faut aller au poste de police local et c’est un parcours difficile. J’ai donc commencer à l’aider, en l’interrogeant et en créant un dossier avec son histoire pour faciliter le processus administratif. Je savais dès le début que ce récit deviendrait un livre.
Quand en avez-vous eu l’idée ?
Lorsque je l’ai rencontré, il a dit une phrase qui m’a surpris. « Frère, je ne voulais pas venir en Europe ». C’est ainsi que j’ai compris qu’il existait une histoire que je n’aurais pu imaginer. Une aventure différente de nos préjugés. Ibrahima a une très belle façon de s’exprimer qui vient aussi de la tradition du récit oral de sa terre. En l’aidant pour un entretien, nous sommes devenus amis. En considérant tous ces éléments, j’ai pensé que nous pouvions faire quelque chose de plus qu’un dossier pour le commissariat.
Comment s’est passé le voyage pour Ibrahima ?
Une odyssée. Il a voyagé pendant quatre ans. Puis, il a passé environ cinq ans entre l’Espagne et le pays basque, sans papiers, puisqu’il n’a pas obtenu l’asile, sans jamais pouvoir retourner chez lui dans sa famille.
Comment cette rencontre vous a-t-elle changé ?
Pour moi, cela a été une école. J’ai appris ce que cela veut dire d’être un migrant en Afrique du nord et ce que signifie être un migrant en Europe. J’ai appris qu’un analphabète est capable de faire de la littérature. Et j’ai rencontré la douleur décrite de manière aseptisée par les journaux et la télévision.
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Comment peut-on allier un regard humain et la difficulté des gouvernements à faire face à l’urgence des migrants ?
Je pense qu’il est très important d’être plus proches du problème en le regardant à travers une perspective humaine et en ne le réduisant pas à des statistiques et des chiffres, puisqu’il s’agit de personnes qui souffrent. Et si on regarde avec cette perspective, je pense que la conscience peut changer.
Et donc ?
Que l’on dépense moins, là où il est possible de dépenser moins, comme dans les fonds alloués pour préparer les guerres, afin de construire l’humanité. Le problème le plus profond est le regard que nous portons sur le migrant, que nous considérons « autre », un étranger, alors qu’il est comme nous.