Monseigneur Christophe Pierre

Monseigneur Pierre : « Don Giussani nous appelle à être les enfants du père »

L’homélie du nonce apostolique aux États-Unis à la messe pour le fondateur de CL célébrée à l’occasion du New York Encounter : « Dieu n’est pas loin. Il est proche. Chaque jour Il est notre compagnon »
Christophe Pierre

Mes chers amis dans le Christ,

Je suis heureux d’être encore cette année ici, avec vous, au New York Encounter, pour célébrer le sixième dimanche du temps ordinaire et commémorer le quinzième anniversaire de la mort de Don Luigi Giussani. En tant que nonce apostolique, représentant du Saint-Père aux États-Unis, je vous salue chaleureusement au nom du Saint-Père, vous assurant de ses prières, de sa proximité spirituelle et de son affection paternelle.

Avant d’arriver ici, j’ai été frappé par le thème, "Surmonter la division", parce que notre monde apparaît de plus en plus dominé par les idéologies. Les gens se lient à ceux avec qui ils sont d’accord et diabolisent ceux avec qui ils ne sont pas d’accord. En prétendant aimer la justice, ils deviennent progressivement intolérants à l’égard des opinions d’autrui. Le Saint-Père parle quotidiennement de miséricorde, et pourtant nous expirons paradoxalement dans une culture de la condamnation et du jugement. Comment pouvons-nous surmonter cette division qui semble être si grande ?

Votre affiche de cette année porte une citation du chant XXXIV de l’Enfer de Dante, mais avant de la rappeler, je veux en lire une qui se trouve au début du même chant et qui pourrait refléter la désolation de notre monde :

Comme lorsqu’un épais brouillard se forme, / ou lorsque la nuit tombe dans notre hémisphère, / et qu’apparaît dans le lointain un moulin qui tourne au vent, / il me sembla alors distinguer un édifice semblable ; / puis à cause du vent je me réfugiais derrière / mon guide, car il n’était pas d’autre abri.

Notre monde semble sombre, obscurci, tel un brouillard, parfois même infernal. Sous la direction de son maître, Dante rencontre alors Lucifer, Brutus et Cassius, et celui qui souffre le plus - Judas Iscariote, qui a trahi Jésus par son baiser. Malgré ces horreurs, le guide de Dante l’exhorte à continuer :

"Lève-toi", dit le maître, "debout : / la voie est longue, le chemin mauvais, / et déjà le soleil est revenu à mi-tierce."

Notre chemin est aussi long et difficile, mais avec notre maître, nous pouvons surmonter la division ; mais nous ne devons pas nous attendre à ce que ce soit facile. Finalement, après avoir traversé un abîme, Dante écrit (c’est la citation portée sur l’affiche) :

Mon guide et moi nous entrâmes dans ce / chemin caché pour retourner dans le monde lumineux ; / et sans souci d’avoir quelque repos, / nous montâmes, lui le premier et moi le second, / jusqu’à ce que je vis les belles choses / que le ciel porte, par une ouverture ronde. / Et par là nous sortîmes, pour voir de nouveau les étoiles

Nous aussi, nous avons notre maître, Jésus. Dans le cinquième chapitre de l’Évangile de Mathieu, Jésus monte sur la montagne, comme Moïse était monté au Sinaï pour recevoir la Loi. Jésus s’assied, assumant la position du maître, et commence à enseigner aux foules. Il se pose en nouveau Moïse.

C’est ainsi que commence son grand discours de la montagne sur les béatitudes. Si nous voulons surmonter la division, peut-être que la spiritualité des béatitudes, qui parle de pauvreté en esprit, de douceur, de miséricorde et de persécution endurée avec joie, devrait faire partie de la solution. Jésus veut faire prendre conscience à ceux qui le suivent des conditions pour devenir ses disciples, en les encourageant à être le sel de la terre et la lumière du monde. Certainement nous aussi, dans l’obscurité des idéologies de notre temps, nous sommes appelés à faire de même. Mais comment ?

Le point de départ est l’observance des commandements. Jésus dit à ses disciples qu’il n’est pas venu pour abolir la loi, mais pour l’accomplir, en ajoutant immédiatement que si leur justice ne dépasse pas celle des scribes et des pharisiens, ils n’entreront pas dans le royaume des cieux. Nous ne pouvons pas continuer à nous comporter comme les scribes et les pharisiens, ou comme il est écrit sur votre affiche : « Nous disons aimer la justice, mais nous l’utilisons comme une arme contre nos ennemis. »

Être un disciple authentique exige quelque chose de plus. Alors Jésus commence ce qu’on appelle "l’antithèse". Dans l’Évangile d’aujourd’hui, nous avons les quatre premières des six antithèses, qui ont une forme caractéristique. Jésus commence par dire : « Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens… » Ce "vous avez entendu" n’est pas adressé seulement à un individu, mais à toute la communauté. Nous avons écouté la Loi à travers les Écritures. Le "qu’il a été dit" est une utilisation linguistique, en grec et en hébreu, de la voix passive renvoyée à Dieu ; cela équivaut donc à dire : « Dieu a dit. » L’expression "aux anciens" ou "à nos ancêtres" fait référence aux Israélites qui ont reçu l’ancienne Loi de Moïse sur le mont Sinaï.

La forme caractéristique continue avec Jésus qui affirme : « Mais moi, je vous dis ... ». Jésus impose son autorité magistrale au-delà et au-dessus de celle de Moïse. Cette façon d’argumenter était couramment utilisée par les rabbins à l’époque de Jésus. Une interprétation d’un rabbin est contredite par un "mais moi, je vous dis". Par l’utilisation de cette formule Jésus montre qu’il est un rabbin, mais aucun simple rabbin n’aurait jamais revendiqué l’autorité d’aller au-delà de ce que Moïse avait enseigné ou même de révoquer la Loi mosaïque.

Jésus, en utilisant cette formule, revendique l’autorité du Maître par excellence. Il prétend être la Parole de Dieu, la norme authentique de la morale chrétienne. C’est cette Parole qui arrive à nous à travers ces six "antithèses". Jésus n’est pas venu pour abolir la loi et les prophètes ; au contraire, il est venu pour l’accomplir et pour appeler ses disciples à un amour plus profond de celui que la Loi mosaïque exige.

La première antithèse concerne les relations entre les êtres humains, entre les membres de la communauté. Elle utilise quatre fois le terme grec adelphos (frère). Il commence par citer le cinquième commandement, tu ne tuera pas, mais Jésus intègre la Loi. Il nous dit de ne pas nous mettre en colère et de ne pas insulter nos frères et sœurs. Jésus n’annule pas la loi contre le meurtre, mais Il défie ses disciples. Il ne suffit pas d’éviter de s’entretuer. Jésus retourne à l’esprit de la Loi. Le disciple du Christ doit renoncer à la haine, à la colère, aux insultes, au langage violent, et ainsi de suite. Il ne suffit pas d’éviter le meurtre physique ; Jésus exige un changement intérieur.

Nous avons entendu dans les versets 23 et 24 (de Mt, 5, ndt) une illustration de la façon dont ce changement intérieur se manifeste en action : dans la réconciliation. Pour éviter la colère, la réconciliation est nécessaire. Offrir un sacrifice devient quelque chose d'insensé sans la réconciliation, et notamment entre les membres de la communauté. Il aurait été impensable d’interrompre la liturgie dans le temple pour une raison frivole, pourtant l’accent mis par Jésus sur l’offrande à l’autel souligne l’importance de la réconciliation. La réconciliation est une condition préalable à un culte authentique ; le véritable sacrifice ou l’oblation sont impossibles sans elle. Notre adoration de Dieu est subordonnée à notre amour pour notre prochain. Être des instruments de réconciliation est un moyen de surmonter la division.

Le même changement intérieur est exigé dans l’antithèse suivante qui parle de l’adultère. Jésus demande à ses disciples de ne pas se regarder avec convoitise, comme si une personne était un objet à dominer ou à contrôler ; au contraire, Il désire un changement intérieur qui montre le respect de chaque personne dans sa richesse. De toute façon, que ce soit pour renforcer l’enseignement sur le divorce ou pour encourager les disciples à ne pas parjurer, Jésus exige un changement intérieur - un engagement plus profond dans les relations et un plus profond sentiment de confiance dans la communauté. Ce sont les ingrédients de la recette pour "surmonter la division".

Les six antithèses se terminent (et nous l’entendrons la semaine prochaine) avec Jésus qui dit : « Vous avez entendu qu’il a été dit : Vous aimerez votre prochain et vous haïrez votre ennemi ; mais moi, je vous dis : aimez vos ennemis et priez pour vos persécuteurs [...] Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous? Les publicains aussi n'agissent-ils pas de même ? Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens aussi n'agissent-ils pas de même ? Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait. »

Don Giussani a réfléchi sur la véritable division à surmonter. On est loin d’être parfaits. Écouter ces versets engageants et observer notre mode de vie nous fait reconnaître que nous sommes beaucoup plus semblables à Judas, qui trahit le Seigneur avec un baiser, par nos lèvres nous promettons une chose et nous en faisons une autre. Il y a un grand fossé entre dire et faire ; entre notre désir de perfection et l’état réel de notre relation avec Dieu.

Comment surmonter cette division ? Comment respecter ces lois ? Comment pouvons-nous aller au-delà de la justice des Scribes et des Pharisiens ? Giussani demande : « Qui nous a apporté la loi ? » Et en réponse à sa propre question, il écrit : « Celui Qui nous a apporté cette loi est le Christ, c’est-à-dire que le Christ est l’image visible, tangible, que nous pouvons suivre et imiter du Mystère, du Père. Soyez parfaits comme le Père. Mais pour le Père, le centre de tout, ce qui explique tout, la perfection de tout, c'est quoi ? C’est le Christ. Le Père a remis toutes choses entre ses mains (cf. Gv 3.35). Par conséquent, être parfait comme le Père signifie reconnaître, accepter, embrasser le Christ. [...] Être parfait comme le Père signifie reconnaître, accepter et embrasser l’ordre avec lequel Il a fait toutes choses, hommes et choses ; l’ordre, le royaume de Dieu. Mais ce royaume de Dieu, cet ordre des choses a un nom : il s’appelle Christ ! (Una strana compagnia, BUR Rizzoli, Milan 2017, p. 231).

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Même s’il est mort il y a quinze ans, don Giussani reste un père pour nous, pour ce mouvement. Il nous appelle à être les enfants du Père céleste en reconnaissant, en accueillant, en embrassant et en vivant sa Présence autant que possible ; tout comme un enfant vit attaché à sa mère, avec la pensée de sa mère toujours présente, ainsi le Christ doit toujours être dans nos pensées et vivre dans notre conscience, nous appelant à la perfection. La possibilité de surmonter la division réside dans le fait de vivre quotidiennement avec la conscience de Sa Présence. Dieu n’est pas loin. Il est proche. Il est notre compagnon chaque jour. Il est le Chemin qui surmonte la division. Le Christ est le Chemin.