La prison de Fleury-Mérogis

Serviteurs de l’inutile

La visite mensuelle aux détenus annulée pour cause de coronavirus. Le cadeau d’une messe « inattendue ». Et une question qui surgit : « Où est la source qui nous fait vivre ? »

Troisième dimanche de Carême qui coïncide avec notre dimanche d’animation de la messe à la prison de Fleury-Mérogis. Un peu d’appréhension et de questionnement à cause de la crise sanitaire du coronavirus : comment faire avec les prisonniers ? Leur parler ? Ne pas leur serrer la main quand ils arrivent dans la salle ou lors du baiser de paix pendant la messe, moment tellement important, et attendu, pour eux.

Aucun message d’annulation de la part de Denise, notre aumônière référente, donc nous nous retrouvons à 8 heures du matin sur le parking de la prison avec le père Dominique que nous accompagnons fréquemment, et nous discutons rapidement de ce qu’il convient de faire avec les prisonniers.

Les autres groupes d’animation pour les cinq bâtiments de la prison arrivent aussi. Nous nous présentons à l’entrée principale pour un premier contrôle d’identité. Alors que le poste d’entrée est en train de vérifier nos papiers, le gardien nous annonce qu’une nouvelle consigne vient tout juste d’être donnée et que seules deux personnes par groupe peuvent rentrer. Nous nous regardons dépités : le groupe qui vient de rentrer comportait une dizaine de personnes ! Après un moment d’hésitation et d’énormes regrets, le père Dominique décide de tout annuler considérant que deux personnes seules ne peuvent assurer l’animation face à une cinquantaine de prisonniers.

Mathilde lui demande alors s’il ne pourrait pas célébrer une "petite" messe pour nous, à l’intention des prisonniers. Très enthousiaste à cette idée, il le propose aussi à un autre groupe dans la même situation que nous et nous nous rendons chez des religieuses qui ont une chapelle à quelques centaines de mètres de là, près de la prison pour femmes. Elles acceptent avec grande joie cette messe qu’elles n’attendaient pas, et nous participons à une messe, simple et recueillie, où nous partageons librement sur notre soif, à l’image de la samaritaine. Où se trouve notre soif ? Où est notre source, la source qui nous fait vivre ? Nous avons chanté et prié pour les prisonniers pour qui nous étions venus, pour nous-mêmes et pour notre monde qui « tousse ».

À la fin de la messe, autour d’un café offert par les religieuses, nous partageons nos vies et nous découvrons ces sœurs qui consacrent leur vie au service des personnes incarcérées : écoute et présence auprès de personnes en proie à la détresse et à la peur de l’inconnu dans l’attente de la décision d’un juge.
Nous avons pu voir la joie d’une vocation « au service de l’inutile », d’une écoute de l’autre sans prétention et sans rien attendre en retour. Mais « bien souvent nous recevons bien plus que nous ne donnons ! ».

Comme le père Dominique, qui n’a eu de cesse de le faire pendant et après la messe, nous ne pouvons que dire merci pour ce moment inattendu, merci pour cette immense grâce reçue, cette tendresse de Dieu pour nous donner la force de l’épreuve du confinement qui nous attend, merci pour cette messe unique, merci pour ce temps de prière communautaire qui ne se reproduira pas de sitôt, merci pour ce partage avec ces personnes inconnues, merci pour ce rappel sur le sens que doit avoir pour nous l'action caritative : un service de l’inutile pour tant recevoir et apprendre à T’aimer, Seigneur, à travers l’autre.

Alexandra Alexis Marie-Michèle Mathilde, Paris