Le mur et le bienheureux

Ils lui ont tiré dessus pendant qu’il disait la messe. L’évêque martyr Oscar Romero a été béatifié le 24 mai. Le choix du pape François scelle l’affaire controversée du pasteur salvadorien qui avait pris la défense de son peuple opprimé.
Andrea Tornielli (vaticaniste pour La Stampa)

Qui est Oscar Romero

Oscar Romero est né à Ciudad Barrio (Salvador) en 1917.
Ordonné prêtre en 1942, il est curé dans une paroisse puis, en 1967, il est élu évêque de Tombee.
Evêque de Santiago de Maria de 1974 jusqu'en 1977 quand il devient archevêque de San Salvador.
Le 24 mars 1980, il est tué pendant qu’il célèbre la messe à l’hôpital de San Salvador où il habitait.




Il est mort en martyr, par haine de la foi, tué par une fusillade alors qu'il était sur le point de consacrer le pain et le vin sur l’autel. Mais pendant de trop nombreuses années il a été considéré avec méfiance à Rome aussi, parce qu'il était victime d’instrumentalisations idéologiques. En réalité, Oscar Arnulf Romero a été un évêque qui n’a pas manqué à son devoir de pasteur tout en connaissant les risques qu’il courrait : grâce à son témoignage, à une époque où même au sein de la hiérarchie ecclésiastique il y avait des personnes qui minimisaient la violente répression du régime salvadorien et l’exécution des campesinos, il a préservé la foi de tant d’hommes et de femmes, pauvres et persécutés. En montrant le visage d’une Eglise qui invite à la concorde et non pas à la violence, qui sait choisir de rester du côté des opprimés et non pas des oppresseurs. C’est pour cela que la béatification de Romero, voulue par le pape François et célébrée le samedi 24 mai à San Salvador sous un soleil cuisant, représente un grand signe pour l’Amérique Latine et pour toute l’Eglise. Un signe longtemps attendu.

La cérémonie a été présidée par le cardinal Angelo Amato, préfet de la Congrégation des causes des saints devant une foule de près de trois cent mille personnes. Le pape François a envoyé à l’archevêque de San Salvador une lettre disant : « la béatification est un motif de grande joie pour les salvadoriens et pour nous qui bénéficions de l’exemple des meilleurs fils de l’Eglise ». Romero « a su guider défendre et protéger son troupeau », avec « une attention particulière pour les plus pauvres et les marginaux » jusqu'à « s'identifier pleinement avec Celui qui donna sa vie pour ses brebis », au moment de sa mort. « Rendons grâce à Dieu parce qu il a concédé à l Evêque martyr la capacité de voir et entendre la souffrance de son peuple et qu'il a modelé son cœur afin qu’en Son nom il l’oriente et l’éclaire » écrit le pape François, soulignant comment Romero « nous invite au bon sens et à la réflexion, au respect de la vie et à la concorde », à « renoncer à la violence de l’épée, à celle de la haine, à vivre la violence de l’amour, celle que nous a laissée le Christ cloué sur une croix, et que chacun doit exercer pour vaincre son propre égoïsme pour qu’il n’y ait plus d’inégalités aussi cruelles entre nous ».

LES DÉNONCIATIONS
Deuxième de huit enfants, Oscar Romero est né dans une famille modeste le 15 août 1917 à Ciudad Barrios. Il entre au séminaire d'où ses supérieurs l'envoient à Rome pour compléter sa formation ; il fréquente l’Université Pontificale Grégorienne de 1937 à 1942. Après avoir œuvré comme curé de paroisse, il est nommé évêque auxiliaire de San Salvador en 1970. Il participe personnellement à la Conférence de l'Evêché latino-américain à Medellin en 1968. En 1974 on lui confie le Diocèse de Santiago de Maria, une des zones les plus pauvres du pays. C'est là que Romero fait l’expérience de l’extrême dureté de la vie de la population sous une répression militaire protégée par les grands propriétaires terriens.

Nommé Archevêque de San Salvador en 1977, il avait refusé l’offre de construction d'un palais épiscopal et choisi de vivre dans une petite chambre dans la sacristie de la chapelle de l’Hôpital de la Divine Providence où étaient hospitalisés les malades en phase terminale. Un mois après son entrée dans le diocèse, on assassine le père Rutilio Grande, jésuite, ami et collaborateur. C’est ainsi qu’il avait commencé la saison de ses dénonciations publiques en défense du peuple opprimé. Ces années-là, sous l'égide du parti au pouvoir, l’armée profanait les églises et tuait les fidèles. Romero suppliait au nom de Dieu de faire cesser la répression. Et les organes de presse fidèles au régime lui répondaient avec les mots du nouveau Pape, Jean Paul II : « Gare aux prêtres qui font de la politique dans l'Eglise car l'Eglise appartient à tout le monde ». C'était commode pour les oligarques au pouvoir et leur longa manus des escadrons de la mort d’opposer le Pape polonais à l'Evêque courageux. En lui reprochant de « faire de la politique » alors qu'il ne faisait que défendre ceux qui étaient sans défense.

Certains ont comparé la béatification de Romero à la chute d’un mur. L'Eglise a canonisé beaucoup de victimes des régimes totalitaires communistes et national-socialiste. Avec cette cérémonie au Salvador, qui pourrait ouvrir la route à la reconnaissance du martyre de nombreux autres prêtres et laïcs, on met en lumière les persécutions subies par l'Eglise latino-américaine durant les années soixante-dix et quatre-vingt : dans ce cas, les persécuteurs se déclaraient catholiques et considéraient quelques courageux pasteurs comme un danger pour leur pouvoir. Pourtant, ces évêques, ces prêtres, ces catéchistes accusés de « faire de la politique » et d'être « marxistes » n’ont rien fait d’autre que de dénoncer les injustices, défendre les opprimés, mettre en pratique la préférence des pauvres.

LA DERNIÈRE HOMÉLIE
« Pourquoi a-t-on assassiné Romero ? », demandait l’évêque Gregorio Rosa Chávez, un de ses plus proches collaborateurs, à l’occasion du vingtième anniversaire de sa mort : « C'est un peu comme demander pourquoi ils ont tué Jésus Christ ». Par ses dernières phrases prononcées durant l'homélie de la messe pendant laquelle il a été tué, il semble presque demander à l’assassin de lui permettre « de mourir quand je monte à l’autel pour offrir le pain et le vin ». « On peut lire toute sa vie à la lumière de cette image. Il a vécu et il est mort comme un bon pasteur amoureux du Christ et de son peuple ».

Romero écrivait dans une lettre : « Le Salvador est un petit pays souffrant et travailleur. Ici, nous vivons de grands contrastes sociaux, marginalité économique, politique, culturelle, etc. En un mot : l’injustice. L’Eglise ne peut pas rester muette face à tant de misère parce qu’elle trahirait l'Evangile, elle serait complice de ceux qui piétinent les droits humains ici. Voici la cause de la persécution de l’Eglise : sa fidélité à l’Evangile ».

La décision du pape François, la reconnaissance que cet homicide sur l’autel a eu lieu par « haine de la foi », représente la conclusion d’un processus nullement facile qui, pendant vingt ans a subi des ralentissements et quelques tentatives d’enlisement. Pour comprendre combien l’affaire Romero a été discutée dans les palais du Vatican, il suffit de rappeler qu’en mai 2007, alors qu’il se rendait au Brésil pour son premier voyage en Amérique Latine, à une question sur le procès de béatification de Romero, Benoît XVI avait répondu en le défendant et en le décrivant comme « un grand témoin de la foi » qui avait eu une mort « vraiment incroyable » devant l’autel. Il avait clairement répondu que la personne de Romero « est digne de béatification ». Pourtant ces paroles prononcées par le Pape devant les caméras de télévision et les enregistreurs allumés n’ont pas été rapportées dans les versions officielles de l’interview publiées sur les médias du Vatican.

En octobre 1977, au début de son ministère d’Archevêque à San Salvador, Romero écrivait : « Pendant de nombreuses années, dans l’Eglise, nous avons été responsables du fait que beaucoup de monde considère l’Eglise comme une alliée des puissants en matière économique et politique, contribuant ainsi à former cette société d’injustice dans laquelle nous vivons. Quelques mois avant de mourir, il avait répondu aux journalistes qui l’interrogeaient sur sa conversion de « prêtre en soutane » aux idées plutôt conservatrices à pasteur militant : « Ma seule conversion a été au Christ et ceci tout au long de ma vie ». Aujourd'hui, l’Eglise a mis son sceau sur sa vie et sur sa mort.



Les réponses des premiers martyrs face à la condamnation