Photo Unsplash/Bernd Dittrich

Pour ne pas s'habituer aux bombes

Un professeur, un élève « blessé » par la guerre en Ukraine et un film primé aux Oscars qui est comme un « coup de poing dans l’estomac », mais aussi une invitation à redécouvrir l'appel du Pape pour la paix

Cette année, dans l’une des écoles où j’enseigne, un élève a proposé à tout l’établissement de regarder le documentaire qui a remporté l’Oscar, 20 jours à Marioupol en motivant ainsi sa proposition : « Je crois que notre établissement scolaire a le devoir, à son niveau, de faire ce qu’elle peut pour que la situation tragique du peuple ukrainien ne soit pas ensevelie sous une chappe d’indifférence et de cynisme ».

Ses paroles m’ont beaucoup touché car d’une certaine façon le tract de la Compagnie des Œuvres sur les élections européennes et sur la paix nous rappelle justement le risque de l’indifférence et de l’habitude dans lequel nous tombons face à une guerre aussi proche.

La réaction des élèves et des professeurs a varié : certains face aux images crues ont préféré ne pas le regarder, beaucoup ont adhéré et le visionnage a été un véritable coup de poing dans l’estomac, beaucoup ont pleuré, moi y compris, car on ne peut rester indifférents face aux images de la mort d’Evangelina qui avait à peine quatre ans, ou celle d’un jeune de dix-sept ans mort sous les bombes alors qu’il jouait au foot avec ses amis. Nous nous sommes habitués aux bombes et aux missiles à la télé, mais « voir les conséquences, c’est autre chose » a dit un de mes élèves.

Les paroles du Pape qui a récemment rappelé l'urgence de « cesser les hostilités qui provoquent d’immenses souffrances » étaient claires pour moi.

Dans les années quatre-vingt-dix, je suis allé, à 18 ans, en Slovénie chez le père Vinko Kobal, pour aider avec d’autres jeunes les réfugiés de la guerre en ex-Yougoslavie. Dans un camp de réfugiés, j’ai été frappé par le nombre d’enfants qu’il y avait. Aujourd’hui la guerre est proche et nous nous y sommes presque habitués. Peut-on s’habituer ou être indifférents à la mort d’enfants à Gaza, Rafah ou Marioupol ?

Finalement, même la question des élections européennes risque d’être réduite à « alors, pour qui dois-je voter ? ». Je comprends, à l’inverse, qu’il y a en jeu beaucoup plus : mon humanité. Le texte de l’école de communauté au chapitre 7, point 3, où l’on parle de l’aliénation m’a beaucoup aidé, lorsque l’on donne l’exemple de Churchill et du risque que l’homme soit dominé par les idéologies, en programmant pensées et sentiments; don Giussani dit : « La politique d’aujourd’hui est dominée par ce type de culture dans le monde entier. C’est pour cette raison que la révolution pour la défense de l’humain est nécessaire, et elle ne peut avoir qu’une seule caractéristique principale, une caractéristique religieuse, authentiquement religieuse, c’est-à-dire la présence du chrétien authentique en première ligne ».

C’est impressionnant de voir comment nous pouvons tomber en permanence dans cette aliénation, dans cette indifférence, fille d’un pouvoir qui nous habitue même à penser que produire des armes et les livrer à la place de l’aide humanitaire est la chose la plus normale qui soit, comme le dit le documentaire lui-même : la guerre en Ukraine existait déjà depuis 10 ans, quelqu’un l’avait-il remarqué ?

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Moi aussi, je m’aperçois que je suis loin de ce à quoi nous rappelle continuellement le Pape : la paix comme unique solution. Je m’étonne cependant que le travail d’école de communauté et la simple proposition d’un élève puissent m’arracher à cette aliénation, en me redonnant l’envie de me poser à nouveau ces questions fondamentales qui sont le chemin vers le vrai, le bien et le juste. Comme le dit le tract de la CdO (Compagnie des Œuvres ndt) : « Aujourd’hui, l’explosion de nouvelles guerres et la course à l’armement remet tragiquement face à chacun le risque que l’on encoure : si la guerre devait s’étendre, on assisterait à la faillite définitive et sans appel du projet d’Union, attentant au futur de la famille humaine tout entière, comme le répète continuellement le Pape François. Le seul fait d’accepter la possibilité, ou même la probabilité, de cette hypothèse contredit le fondement idéal sur lequel l’Europe a été construite ».

Je comprends que le changement dont nous avons besoin est profond, ce qui est en jeu n’est pas seulement les élections européennes mais la défense de l’humain.
Domenico, Cesena